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Une génération paumée et fière de l'être

Dernière mise à jour : 13 mai 2023


La dernière campagne publicitaire d'Acadomia : la photographie d'une adolescente à la moue pensive, sur laquelle on a écrit en grosses lettres roses qu' "à cinq ans, on sait ce qu'on veut faire quand on sera grand. À 17 ans, moins". Et parfois, à 20, 25, 30 ans et plus, c'est toujours aussi compliqué : on est déjà adulte, mais toujours pas très clair sur son orientation professionnelle.

Ils ont changé d'orientation maintes fois, fait le tour de toutes les facs de la physique à la philo. Ils ont fait huit ans de droit pour finir par claquer la porte avant même d'avoir commencé à travailler, pour partir faire le tour du monde à la place. Ils ont commencé à travailler pour s'apercevoir qu'ils ne mettaient que peu voire pas du tout à profit les enseignements de leurs études. Qu'est-ce qui cloche avec cette génération de milléniaux? Sont-ils trop indécis, trop feignants, trop à cheval sur leurs congés ? Sont-ils désintéressés par le travail ? Les générations ont des noms : il y a la X (nés entre 1961-81), la Y (1981-95), la Z (nés après 1996)... À quoi on a envie d'ajouter la "paumée", à cheval entre ces deux dernières. Avec cet article, PRIMAIRE ouvre la voie à une série de portraits donnant la parole à ces jeunes adultes "en recherche de sens" au travail.



"In the world we live in, what we know and what we don't know are like siamese twins, inseparable, existing in a state of confusion." Markus Muntean and Adi Rosenblum


"I Just Don’t Think We Have the Luxury to Have Dreams Anymore"


Nous n'avons plus le luxe de rêver : c'est ce que nous disait l'étudiante Katherine Hu de la prestigieuse université de Yale dans une tribune au New York Times. Nous sommes le 24 mars 2020, au début de la pandémie de coronavirus. Alors qu'elle s'apprête à entrer sur le marché du travail, Katherine parle au nom de toute une génération pour mettre en lumière un sentiment : la désillusion. Née avec le millénaire, elle réalise abasourdie le paradoxe suivant : être mieux éduquée, plus diplômée que ses parents, et ce pour recevoir de moins bons salaires et observer chaque jour le service public se détériorer. L'auteur de la tribune pointe du doigt un problème structurel de nos sociétés qui empêche les jeunes générations de s'y projeter, car "il n'y pas de moyen de gagner dans ce système, il est juste cassé". Obsolète. "Le monde du coronavirus" est celui à propos duquel "nous avons tentés d'alerter nos aînés", nous dit-elle en faisant référence à la crise climatique. Le constat étant fait, les rêves de carrière s'écroulent, car le monde du travail ne semble juste pas adapté, en décalage total avec les aspirations de la jeunesse.



Marche climat à Bordeaux le 28 mars 2021


Plus rien à gagner


Car pourquoi travaille-t-on ? Pour obtenir quoi en retour ? Il fut un temps où la qualité de vie, les services publics s'amélioraient. Maintenant, ils se détériorent. En ce début d'année 2022, l'INSEE prévoit une inflation globale de 2,7% et une baisse du pouvoir d'achat des français, alors que les tarifs de l'énergie, eux, augmentent. L'hôpital public était à bout de souffle bien avant le début de la pandémie de coronavirus. Il devient de plus en plus difficile d'accéder à l'enseignement supérieur, avec des embouteillages à l'entrée des masters, où de fait, il n'y a plus de place pour tout ceux qui sortent de licence. Et à en croire les déclarations du président candidat en fin de semaine dernière, la privatisation de l'enseignement supérieur est désormais envisagé comme une possibilité. La liste est non exhaustive : il n'y a vraiment plus rien à gagner.


Tu veux faire quoi dans la vie ?


Au-delà de l'indécision, les réorientations à répétition apparaissent alors comme les symptômes d'une recherche : celle de plus de sens dans le travail. Selon une étude du baromètre de la formation et de l'emploi de Centre Inffo réalisée en 2021, 47% des actifs envisagent, ou sont déjà engagés dans un processus de reconversion. À quel motif ? Une "volonté de se rapprocher de ses valeurs et de vivre davantage de ses passions", pour 86% des personnes interrogées. Il ne s'agit donc pas de rejeter en bloc le monde du travail, mais plutôt de le réinventer, ce qui implique du temps et une nécessaire prise de recul. Ce lieu commun du "Tu fais quoi dans la vie ?" ou "Tu veux faire quoi dans la vie ?" devient d'abord source d'angoisse, avant de fédérer autour de lui toute une société qui décide de prendre le temps qu'il faudra pour y répondre. Ce sont les paumé.e.s, une communauté initiée par l'association makesense qui se pose comme un espace de partage et d'échange entre "celles et ceux qui se posent tellement de questions que leur cerveau ressemble à un escape game niveau expert". Ici, chacun peut déballer ses questionnements existentiels, partager des bons plans, organiser des apéros et réseauter: tout cela dans le but de réinventer le monde du travail de demain.


Une page vierge


Il y a beaucoup à repenser. L'enseignement supérieur, encore en décalage, commence à prendre timidement en compte les demandes des étudiants, à l'instar des écoles de commerce qui tentent cahin-caha de verdir leur image. Le think tank The Shift Project a quant à lui lancé en 2019 tout un projet de réflexion consacré à l'enseignement supérieur. Constatant les carences de ce dernier en ce qui concerne la formation des étudiants aux enjeux climatiques, il identifie dans ce rapport des pistes d'action concrètes pour faire mieux. Les écoles et formations faisant de la transition écologique leur cheval de bataille se multiplient, à l'instar de la Green Management School ou de l'Ecole de la Transition Ecologique (ETRE). En aval, les entreprises sont bon gré mal gré contraintes de s'adapter, et depuis la loi PACTE du 22 mai 2019, nombre d'entre elles choisissent de mettre en place une stratégie RSE (la Responsabilité Sociétale des Entreprises, qui doit permettre d'avoir un impact positif sur la société, tout en ayant un modèle économiquement viable). Les incubateurs de projets engagés, quant à eux, essaiment : il ne reste plus qu'à avoir la bonne idée !


Le mot de la fin : "Cultiver son droit à l'errance"


Il y a trois ans, sur la chaîne YouTube Thinkerview, l'astrophysicien Aurélien Barrau finissait son entretien en lançant une bouteille à la mer aux jeunes générations : "Cultivez, revendiquez, battez-vous pour votre droit à l'errance." Une incitation qui a de quoi surprendre, après une heure et demi passée à parler de l'urgence climatique. À première vue, il y a comme une dissonance cognitive : comment pourrait-on s'accorder le temps d'être perdu, alors que tous les signaux sont au rouge ? Il poursuit : "Quelle que soit la route que vous empruntez, autorisez-vous à cheminer autour de la route, même si ce n'est pas rentable, même si vous n'y voyez pas de retour immédiat." On commence à comprendre : ce que nous suggère l’interviewé, c'est que ce n'est pas en empruntant l'autoroute des carrières toutes tracées qu'on se donnera la moindre chance d'imaginer quoi que ce soit de nouveau. Égarons-nous, donc, pour mieux nous retrouver. Ne nous adaptons pas aux impératifs des employeurs : ils s'adapteront aux nôtres.


Soyons cette génération paumée, et bien dans ses bask'.



Marche climat à Bordeaux le 28 mars 2021


Pour aller plus loin :


S'inspirer des pépites vertes, le média qui donne la parole aux jeunes engagés professionnellement dans la transition écologique

Le documentaire "Foutu pour foutu" d'Agathe Bru et Romain Sanchez sur Imago TV

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