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Photo du rédacteurLucie_LM

Le "virage du paquebot": quête d’autonomie au Jardin des ZakYom

Dernière mise à jour : 13 mai 2023


Eduardo s’applique à découper finement les oignons. Charlotte donne des directives à la dizaine de mains qui émincent et épluchent dans la cuisine : c’est elle qui est chargée du repas de ce soir. Ce sera poulet rôti, sauce au yaourt et courges au four, du jardin s’il-vous-plaît ! Nous sommes en plein cœur du “Labo des ZakYom”, c’est le moment communautaire de préparation du dîner. Dans cette cuisine comme au jardin rien ne se perd, les maîtres mots sont la valorisation de chaque chose et l’économie d’énergie. Si la recette de Charlotte nécessite peu de vaisselle, si elle est suffisamment simple de réalisation et surtout délicieuse, elle aura l’honneur de figurer dans le livre de recette de Kenza et Guillaume. Il y a maintenant trois ans, ce couple a pris la décision de quitter un appartement du 6ème étage de Casablanca pour venir s’installer ici, à Saint-Antoine sur l’Isle (Gironde). Ils y ont créé un jardin où ils accueillent des volontaires qui participent aux chantiers variés de ce lieu en quête d’autonomie. Le Jardin des ZakYom, c’est selon Guillaume “un lieu où on expérimente, où on recherche l’autonomie, où on partage avec les autres”. Le quotidien se vit dehors : ici on prend soin du verger, d’une petite parcelle potagère, on mène des travaux d’irrigation, on rénove et on récupère, on rend des visites quotidiennes aux poules et aux moutons du Cameroun au nombre de huit. Un changement de paradigme si radical que Kenza en parle volontiers comme d’un “virage au volant d’un gros paquebot".





Dans le bateau, il y a deux capitaines



Quand je les interroge sur les débuts de leur projet, ils commencent par se contredire : pas d’accord sur les dates, pas d’accord sur l’historique des événements. La conversation patine, les motivations premières de l’un ne sont pas celles de l’autre. Il faut dire que la décision n’a pas été prise en un jour, c’est le fruit de vingt-sept ans de vie commune en mode globe-trotteur et d’un désir de retour à la nature. Le départ de leurs enfants partis étudier et l’approche de l’âge de la retraite, pour laquelle ils ont peu cotisé, les amènent à entamer une recherche de lieu. Ce faisant, plusieurs éléments déclencheurs leur font envisager ce projet sous un angle nouveau : se crée une sorte de malaise, le “sentiment que tout ce qu’on était en train de faire n’était pas cohérent par rapport à ce qu’il fallait faire, vu l’état du monde”. Tous les deux ingénieurs de métier, ils disent “avoir été informés depuis très jeunes” des effets du réchauffement climatique. “Informés, mais pas conscients” précise Kenza. Il aura fallu une lecture pour Kenza, un “besoin viscéral de se reconnecter à la nature” pour Guillaume. Et le courage de repenser sa vie selon d’autres principes.




On a travaillé tous les deux pendant trente ans, on a capitalisé, on a acheté notre maison, on a fait en sorte d'avoir des revenus locatifs pour notre retraite. Un schéma classique, mais qui risque de ne plus fonctionner encore longtemps".
Kenza


Leur projet d’installation à la campagne s’inscrit dès lors dans une démarche d’autonomie: il s’agit de trouver des solutions pour vivre autrement, de laisser à leurs enfants des terres plutôt que des revenus locatifs. Mais une fois la décision prise, comment diriger le paquebot ? Comment s’improvise-t-on paysan lorsque l’on a été citadin quasiment toute sa vie ? Il semble y avoir un leitmotiv, une notion qui revient régulièrement au cours de la conversation : le bon sens.



Le bon sens paysan au cœur de la quête d’autonomie



Que je tente de les lancer sur le sujet de la permaculture ou sur celui de l’autonomie, il y a un terme qui éclipse tous les autres lorsqu’il s’agit de parler méthodologie : celui du bon sens. Kenza m’explique comment cela se traduit dans l’élaboration de leur projet : "Je ne veux pas imiter ce qui se fait ailleurs. Là, on est ici, je regarde ce que l’on peut faire, quelles solutions on peut mettre en place pour pouvoir fonctionner avec le moins de besoins extérieurs possibles”. Il s’agit donc, plutôt que de s’en remettre à des principes préétablis, de faire du mieux que l’on peut avec les moyens dont on dispose. Cela s’est d’abord concrétisé dans le choix du lieu : (Kenza)“On est venu ici car j’avais un réseau d’amis”. C’est ensuite une hiérarchisation de ses besoins les plus primaires. Selon eux, il s’agit d’abord d’avoir un toit, un abri, puis arrive l’eau qui va de pair avec l'électricité car “ne serait-ce que pour pomper l’eau, c’est plus facile avec l'électricité". Cela se traduit aujourd’hui par un système de récupération des eaux de pluie, des toilettes sèches, une épuration des eaux ménagères par pédo-épuration, et par de gros chantiers à venir tels que celui de l’électricité. Guillaume et Kenza travaillent actuellement sur une installation hors réseau, avec un système de panneaux solaires et de batteries. Au fil de la conversation, on réalise qu’il n’y a pas de plan figé ou de calendrier à long terme du projet. La quête d’autonomie de Kenza et Guillaume s’élabore au présent, au moyen d’une réflexion méthodique. Le Jardin des ZakYom se définit en permanence. Chaque chantier requiert de se poser les bonnes questions, de prendre un temps pour se documenter et éventuellement pour se former avant de faire : il est ainsi essentiel pour le couple d’alterner les semaines d’accueil des volontaires avec des semaines à deux, des moments de calme dédiés à la réflexion.



Notre leitmotiv : essayer de choisir les solutions les plus simples possibles, avec le moins d’énergie et de temps humain. Les toilettes sèches à sciure, par exemple, que l’on doit sortir toutes les semaines, demandent beaucoup plus de temps humain que des toilettes sèches à pédales ”.

Kenza

Du reste, Kenza et Guillaume ont pris le parti audacieux de temporiser la mise en place d’une activité économique sur la parcelle. (Kenza)“Depuis trois ans que l’on est ici, j’ai visité un maximum d'exploitations. Le constat que j’ai fait, c’est que la majorité des gens commence à produire dès leur arrivée sur une parcelle.” Or, la mise en place d’une activité est gourmande en temps et laisse peu de place à une démarche d’autonomie. Guillaume a donc conservé son activité, et le couple réfléchit à l’établissement d’un élevage de poulet en plein air dans le futur, une fois les plus gros chantiers mis en place.



Un écosystème résilient, une soif de liberté



Il ne faut pas s’y tromper : au labo des ZakYom, on n’est pas survivaliste. Ce qui motive la quête d’autonomie, c’est un désir irrépressible de liberté. L’installation à la campagne est motivée par l’envie de “pouvoir s’exprimer plus” , cette dernière apparaît alors comme un espace des possibles, un vaste laboratoire d’expérimentation. Ici, on fait le constat qu’il est possible de faire autrement que ce que la société nous dicte de faire, et on tente simplement de mettre en place des alternatives. Plutôt que de parler d’autonomie, Guillaume et Kenza préfèrent d’ailleurs le terme de résilience :


“Vu les crises que l’on est amené à vivre, je trouve que le terme de résilience est adapté.(...)Tu ne pourras jamais être autonome. Si tu regardes par exemple pour l’électricité : les panneaux on ne sait pas les construire, les batteries non plus, on ne sait pas concevoir l’électronique qui va avec… Mais tu peux être résilient”.
Guillaume

L’objectif n’est donc pas de se rendre indépendant de toute aide, de tout savoir-faire extérieur : le projet des ZakYom se construit dans le partage. L’accueil régulier de volontaires crée une émulation qui permet de mettre à profit les talents de chacun. Lorsque l’on a la chance d’héberger un charpentier ou un architecte, c’est encore mieux ! Mais au-delà des aspects pratiques, il s’agit avant tout de créer un lieu de rencontres et d’échanges. Guillaume et Kenza ont d’abord accueilli par le biais des plateformes WWOOF France et Workaway. Ils ont aussi établi des partenariats avec d’autres associations et accueillent désormais régulièrement des demandeurs d’asile. (Kenza)“Beaucoup de ceux qui sont venus ici ont fait évoluer leur réflexion grâce aux rencontres qu’ils ont faites, avec nous mais aussi avec d’autres WWOOFeurs”. En effet, au Jardin des ZakYom se lient des liens entre des mondes se croisant difficilement ailleurs. Le calme et la beauté du lieu se prêtent bien aux rencontres : on regarde les étoiles en été dans la prairie, on fait la sieste sous la tente marocaine, on refait le monde lors des dîners sous les branches du chêne rouge d’Amérique, on bouquine au coin du poêle les soirs d’hiver et on danse la Salsa dans le salon. C’est avant tout un lieu de vie, où les moments de travail comme les moments de loisir sont imprégnés du plaisir d’être et de faire ensemble.



Le jardin en permaculture: un plaisir esthétique





Le jardin, qui séduit tous ceux qui y mettent les pieds, a une valeur intrinsèque de réservoir de biodiversité que Guillaume et Kenza ont fait en sorte de valoriser par le biais de la plantation de haies, de plantes mellifères, par l’aménagement de mares… Il a une autre fonction : celle de faire plaisir. À Kenza et Guillaume d’abord, puis à tous ceux qui viennent partager ce lieu avec eux. Kenza fait référence à Pierre Rabhi, à l’idée selon laquelle “il faut que le lieu soit beau”. “Beau à tes yeux du moins !” précise-t-elle. De fait, avec ses huit hectares de bois et de prairies, ses mares, ses vergers et ses ronciers, le jardin invite à la contemplation. À leur arrivée sur la parcelle, les ZakYom ont commencé par planter des variétés anciennes d’arbres fruitiers : le jardin est site d’accueil du Conservatoire Végétal Régional d’Aquitaine. Il y a également une petite parcelle vivrière, mais là n’est pas l’essentiel : (Guillaume) “Pour l’instant, on n’a pas passé beaucoup de temps sur l’alimentation car le potager est très chronophage”. Guillaume, qui a suivi une formation Cours Certifié de Permaculture (CCP), prend toutefois un plaisir non dissimulé à passer du temps auprès de ses tomates et de ses poules. Si le désir de produire davantage au jardin est présent, il ne s’agit pas d’une priorité. Cela pourrait se concrétiser dans le futur en établissant des partenariats avec d’autres paysans. En attendant, on se réjouit de faire la soupe avec les courges et les pommes de terre du jardin, et d’avoir sa confiture de tomates vertes maison. Car contrairement aux idées reçues, les principes de la permaculture ne s’appliquent pas seulement au jardin : de l’habitat à l’éducation, on peut les mettre en pratique dans bien des aspects de la vie quotidienne…Comme la cuisine !


“ La façon dont on fait la cuisine est “permacole” : avec le moins d’ingrédients possibles, le moins d’ustensiles possible. Il faut que ce soit faisable par d’autres, que l'on ne soit pas indispensable à l’exécution de la recette ”.
Kenza

Pas d’écologie punitive



Au Labo des ZakYom, les volontaires vont et viennent comme autant d’oiseaux migrateurs. En quittant ce lieu, certains trouvent l’élan de changer de projet de vie, ou ressentent l’envie de s’engager pour la cause écologique. Sensibiliser n’est pourtant pas “l’objectif” de Kenza et Guillaume, même s'il s’agit “d’une envie”. La problématique climatique n’est pas nécessairement mise sur la table, tout dépend de la dynamique des groupes accueillis. Le lieu parle de lui-même toutefois, et sur les étagères de la bibliothèque mise à disposition dans le salon on voit Bill Molisson, Pablo Servignes, Cyril Dion, Pierre Rabhi, Masanobu Fukuoka et autres ouvrages de botanique et d’agroécologie. Kenza m’assure par ailleurs qu’il n’y a rien de militant dans leur démarche. Elle m’explique que “si on le faisait par militantisme, alors j’aurais honte de ne faire que ça". Car la problématique climat est grave, très grave même. Mettant les points sur les i, ils me disent que leur choix de vie n’a ni plus ni moins de vocation que le plaisir partagé de faire vivre ce lieu. Guillaume, plus enclin à la sobriété, me dit cependant qu’il est “presque un extrémiste au niveau de la consommation d’eau, du chauffage...” Mais nulle notion de sacrifice : “Ça va avec ma conscience de la problématique, je suis bien avec ça. Ça me fait plaisir d’avoir le moins de déchets possible, de chauffer à dix-neuf alors que c’est moins agréable qu’à vingt… C’est pour être en accord avec mes principes. Ce n’est pas du tout une contrainte, au contraire !”. Et lorsque je leur demande ce qu’ils ne font pas pour le climat, Guillaume enchaîne en riant : “Kenza aime bien voyager !”. Et elle de confirmer qu’elle n’a même “aucun état d’âme à prendre l’avion s’il le faut”. Elle m’explique qu’eux deux ne pèsent finalement pas grand chose, et que ce qu’ils font ici n'inversera pas la tendance.


“Tout ce que l’on fait là, ce n’est pas pour avoir un impact sur la problématique du climat. Il y a un problème, je peux juste ne pas le nier. Il s’agit plus de montrer à tous ceux qui peuvent le voir que l’on peut faire autrement tout en gardant un confort moderne, pas en étant des Amishs comme dit Macron !”
Kenza


Selon elle, cela se joue à d’autres échelles, ce sont les industriels, les agriculteurs, les décideurs qui ont le plus d’impact sur notre avenir climatique. Ce qui ne signifie pas pour autant que l’individu soit impuissant : “Ce qu’il faudrait, c’est un soulèvement populaire.” En attendant, c’est le couvercle de la cocotte que l’on soulève : le poulet est prêt. L’odeur est exquise et au vu du plat unique dans l’évier, quelque chose me dit que la recette de Charlotte est en train d’entrer dans l’histoire des ZakYom!





Pour en savoir plus sur le Jardin des ZakYom :


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