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LIFE Biodiv’Paysanne : des moyens concrets au service de la biodiversité

Dernière mise à jour : 1 oct. 2023

Renforcer son réseau d’aires protégées, œuvrer à la transition agroécologique du territoire : telles sont les grandes lignes du projet LIFE Biodiv’Paysanne, lancé en 2021 à l’initiative du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Occitanie. Grâce à une enveloppe considérable de la Commission Européenne, jusqu’en 2027, ce projet a les moyens de son ambition pour préserver la faune et la flore locale, parmi les plus riches de France métropolitaine ! Nous sommes allés à la rencontre de Mélanie Nemoz, coordinatrice du projet.



Chantier bénévole LIFE Biodiv Paysanne sur la zone humide de Capvern, septembre 2022. Crédits photo : Mathilde Cassé

Est-ce interdit de parler d’argent ET de biodiversité ? Si le sujet peut sembler tabou, force est de constater que c’est souvent là que le bât blesse pour mettre en œuvre des projets au service du vivant. Il y a un peu plus d’un an, j’échangeais avec Nikita Zimov, un scientifique russe réintroduisant des herbivores au fin fond de la Sibérie septentrionale dans l'objectif d’atténuer la fonte du permafrost. Un projet écologique qui, s’il a beaucoup fait parler de lui, n’était pas pour autant évident à financer d’après Nikita. Comme un clin d'œil au pari fou des Zimov, en allant rencontrer LIFE Biodiv’Paysanne, je me suis intéressée aux moyens financiers qui peuvent être déployés au service de la biodiversité.


Pour commencer Mélanie, peux-tu te présenter en quelques mots ?


Mélanie Nemoz : J’ai une formation d’ingénieure agronome, mais jusqu’en 2020 j’ai surtout travaillé sur de la conservation d’espèces protégées. Au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Occitanie depuis 2008, je coordonne depuis quelques années le projet LIFE Biodiv’Paysanne. C’est le premier projet directement en lien avec l’agriculture sur lequel je travaille.



Mélanie Nemoz, coordinatrice du projet LIFE Biodiv Paysanne. Crédits photo : Gaëlle Vives

Pourquoi le projet LIFE Biodiv’Paysanne a-t-il été initié ?


L’idée est venue de la difficulté à trouver des financements pour gérer des espaces naturels. On s’est dit, « ce serait bien de trouver un outil qui nous apporte un financement sur le long terme, avec plus de visibilité. » J’avais déjà monté deux projets LIFE, et l’outil s’y prêtait assez bien.


Qu’est-ce que le financement européen LIFE ? Qui peut y prétendre, et sous quelles conditions ?


LIFE, c’est l’acronyme de L’Instrument Financier pour l’Environnement. C’est un outil financier de l’Union Européenne qui permet de financer des projets, en général assez conséquents, en faveur de l’environnement. Peut y prétendre n’importe quelle personne morale : la région, une association, un laboratoire de recherche… Ensuite, c’est une sorte de concours : il y a un budget limité, et en fonction du nombre de candidats ils retiennent le projet qui leur semble le plus pertinent.


Il y a différentes catégories dans les projets LIFE, en ce qui nous concerne c’est un projet LIFE Nature et Biodiversité. La Commission Européenne assure à 60% le financement du projet, donc c’est plus facile d’aller voir des financeurs ensuite. Dès le montage, on avait réussi à mobiliser 100% des financeurs, avec l’Agence de l’Eau Adour-Garonne, la région Occitanie et le Ministère de la Transition Écologique.


Aujourd’hui, quels sont les grands volets du projet LIFE Biodiv’Paysanne ?


Le premier volet est plutôt sur notre cœur de métier : la gestion et la protection des espaces naturels.


On a un réseau de sites, c’est la particularité des Conservatoires d'Espaces Naturels de pouvoir en acquérir. C’est la plus grande protection qu’on peut leur donner, car on y met tout en œuvre pour protéger la biodiversité, et qu’on est les seuls décideurs.

Après, on n’a pas la capacité de tout acheter, et de toute façon on ne voudrait pas tout nous vendre ! Donc la majorité de nos sites sont sous convention avec des propriétaires privés.


Le LIFE porte une grande partie de nos sites (soit 25 000 hectares d’espaces naturels protégés) et l’un des volets du projet est d’augmenter ce réseau de sites, avec un objectif de 2 700 hectares supplémentaires. À cette fin, soit nous faisons des démarchages - on repère des enjeux forts de biodiversité - une prairie, une zone humide… - et on va toquer chez les propriétaires, soit à l’inverse ce sont des propriétaires qui viennent vers nous.



Un site du Conservatoire d'Espaces Naturels d'Occitanie suite à un chantier de réouverture de prairies. Crédits photo : Sylvain Nicolas

Et le deuxième volet … ?


Il est lié à l’agroécologie. Dans certains secteurs géographiques, il est difficile d’arriver à mobiliser des agriculteurs du fait d’un cahier des charges trop contraignant, et d’une intervention sur de petites surfaces. Beaucoup de nos actions concernent des maintiens de milieux ouverts* dans des secteurs où il y a eu un abandon de l’agriculture, du pâturage ou autre. Cela demande une pression humaine forte : soit la solution est d’installer des troupeaux, soit ça peut être des fauches.


Nous avons eu l’idée de monter une structure agricole, dont l’objectif serait la préservation de la biodiversité et la valorisation des ressources naturelles issues des résidus de fauche : une Société Civile d’Exploitation Agricole (SCEA)*.



Chantier bénévole de réouverture de milieu organisé par le Conservatoire d'Espaces Naturels d'Occitanie. Crédits photo : Florian Robalo

Et qu’allez-vous mettre en œuvre concrètement avec cette structure agricole ?


Le LIFE a permis d’acquérir du matériel mécanique, pour pouvoir être autonome sur ces chantiers de maintien de milieux ouverts et gérer des terrains avec une surface un peu plus importante où le côté mécanisé est intéressant.


À terme, l’idée est que cette structure puisse valoriser les ressources naturelles issues de la gestion afin de montrer aux agriculteurs qu’il est possible de tirer un revenu des résidus de fauche : le foin essentiellement, et puis la collecte de semences locales.

La filière des semences locales existe déjà sous la marque Végétal local, pour le foin en revanche, il s’agirait d’en créer une. Ce serait une marque de foin issu de prairies naturelles, avec un cahier des charges très favorable à la biodiversité : fauches tardives, diversité d’espèces de flore maximale etc… On viserait plutôt un public de particuliers périurbains comme les centres équestres, avec de petites bottes et une distribution locale.


Le challenge, c’est que dans cinq ans, à la fin du LIFE, la structure puisse s’autofinancer et être une sorte de “vitrine” en accueillant des agriculteurs souhaitant se former à ces techniques-là. Si ça fonctionne, l’idée serait de créer d’autres SCEA en Occitanie, et pourquoi pas dans d’autres coins de France.


Le matériel acquis grâce au projet LIFE Biodiv'paysanne permet la récolte de foins, valorisé auprès d'un public périurbain. Crédits photo : Franck Gaulard

On n'a pas encore balayé tous les aspects du projet... Qu’en est-il des fermes partenaires ? Oui, dans le volet agroécologie, il y a également un partenariat avec 60 fermes. On a essayé de construire un échantillon représentatif des différents types de production qu’on a en Occitanie avec des structures issues du conventionnel, en agriculture biologique voire en biodynamie. On a des fermes plutôt isolées, comme des fermes regroupées sur un même territoire pour voir s’il y a aussi une dynamique qui se crée à plusieurs…


Sur chaque ferme partenaire, nous allons mener un diagnostic croisé avec des informations sur l’agronomie, sur des données socio-économiques et sur l’écologie. En allant creuser, de manière assez poussée, sur l’écologie et la biodiversité.


Et qu’allez-vous faire de ces données ? Nous allons les analyser, puis en proposer un résumé aux fermes partenaires, avec des propositions d’actions en faveur de la biodiversité à mettre en place. Concrètement, ce peut être une réflexion paysagère de la ferme sur les infrastructures agroécologiques : installer des haies, des mares… Ou alors des recommandations sur les pratiques, par exemple sur les rotations des cultures, les couverts végétaux, la rationalisation de l’eau, la conduite de pâturage des troupeaux… Comme on a des productions de types différents, il y aura des recommandations variées.


Toutes les fermes partenaires s’engagent, par le biais d’une convention, à mettre en place au moins une action paysagère et une action “bonne pratique” parmi la liste qui a été proposée.

On a aussi 20 fermes que l’on appelle “pilotes”, qu’on accompagne directement pour mettre en place les actions. C’est-à-dire qu’on a du temps d’accompagnement - une dizaine de jours par an - et un petit budget par ferme.



Le domaine de Roquenégade, vignoble bio en Occitanie, est une exploitation partenaire du projet LIFE Biodiv'Paysanne. Crédits photo : Mélanie Némoz

Et aujourd’hui, vous en êtes où avec les 60 fermes partenaires ?

Actuellement, on finalise la première phase de diagnostic sur les fermes. S’ensuivra la phase de rédaction et de concertation pour voir ce que l’on recommande sur quelle ferme etc.

Ce projet pourrait-il être initié dans d’autres régions de France, à partir du moment où quelqu’un se porte volontaire ? D’ailleurs, il y a des Conservatoires d’Espaces Naturels (CEN) un peu partout en France, non ?


Oui, il y a des CEN dans quasiment toutes les régions de France. La Fédération des CEN est bénéficiaire associé au projet, elle a ce rôle d’impulser dans le réseau ce que l’on va faire. Chaque année, un congrès des CEN de France est organisé, et cette année il aura pour thématique Agriculture et Biodiversité. Le LIFE Biodiv’Paysanne sera pas mal présenté dans les ateliers, afin que d’autres puissent s’approprier la démarche. Sinon, avec d’autres réseaux, comme la fondation Terre de Liens, on essaie de mener des réflexions en commun sur des outils, comme par exemple le Bail Rural Environnemental*, afin de voir comment aller plus loin sur les clauses que l’on propose aux fermiers.


L’outil LIFE, il a cette vocation de dire : voilà, on vous finance de manière assez conséquente sur quelques années, vous expérimentez des choses et vous transmettez vos résultats à d’autres pour que ça fasse un effet boule de neige.


Ferme de Lalanette, partenaire du projet LIFE Biodiv'Paysanne. Crédits photo : Hugo Norel

Même si vous n’en êtes qu’au début du projet, je me pose la question de la gouvernance du LIFE Biodiv’Paysanne. Y a-t-il des difficultés que vous avez déjà identifiées à ce stade ?


On ne va pas se le cacher, c’est un gros projet, donc il y a une lourde machine à mettre en œuvre. Au CEN, il y a une soixantaine de personnes qui travaillent sur le LIFE, à temps plein ou de manière ponctuelle. On a aussi six partenaires, c’est quand même un gros échantillon. L’Occitanie, c’est grand comme région, donc faire travailler des gens sur tout ce périmètre ensemble ce n’est pas toujours simple ! Ce qui nous facilite le travail, c’est la bonne entente entre les partenaires, et le fait que le LIFE est un outil très carré. Donc on n’a pas d’autres choix que de l’être aussi pour répondre à cette exigence de moyens et de résultats.


Qu’est-ce qu’il va se passer après le LIFE Biodiv’Paysanne ?


La Commission Européenne est assez vigilante là-dessus : on a une action obligatoire dans un LIFE qui est “ l’après LIFE ”. On doit rendre en fin de projet un rapport qui montre que l’on s’est vraiment creusé les neurones sur la manière de pérenniser les emplois, les actions, les résultats etc… On sait qu’en deuxième partie de projet on va devoir creuser cet aspect-là. Il y a un vrai enjeu sur la Société Civile d’Exploitation Agricole, car si elle arrivait vraiment à s’autofinancer, alors on aura une partie de notre gestion qui s’autofinance.


Le LIFE, ce n’est pas rien quand même, c’est 9 millions d’euros en 7 ans, donc il va falloir que l’on réfléchisse à d’autres projets ! Par exemple, on aimerait bien mettre en place un suivi des fermes partenaires sur un temps plus long.

On a eu une première phase de diagnostic en 2023, il y en aura une autre en 2026 : c’est court, pour voir des changements à l’échelle de la biodiversité. Il y a quelques espèces qui peuvent réagir très vite, mais pour d’autres, c’est plus sur le long terme. Avec les partenaires, nous pourrions réfléchir à la manière de financer un diagnostic dans 10 ans par exemple ?


*Dans le jargon des gestionnaires d’espaces naturels, les milieux ouverts - prairies, landes…- sont des milieux dont moins de 25% sont occupés par des arbres. Souvent, ce sont des milieux façonnés par l’homme, qui peuvent être riches en biodiversité !


*La société civile d’exploitation agricole, ce n’est pas un agriculteur en tant que tel : c’est une société agricole, avec des associés qui sont décideurs et un gérant, associé ou non.


*Dans le bail rural à clauses environnementales, un propriétaire d'une terre (bailleur) loue à un agriculteur (preneur) en imposant certaines conditions de respect de l'environnement, généralement sur la base d'un plan de gestion. Terre de liens le signe systématiquement avec ses fermiers, et il arrive aussi au Conservatoire d'Espaces Naturels d’en signer.


Domaine de Roquenégade. Crédits photo : Mélanie Némoz

Ressources pratiques


  • Pour découvrir la vidéo de présentation du LIFE Biodiv'Paysanne, c’est par ici



  • Découvrir d’autres projets LIFE Biodiv en France ici ou



Châtaignier sur la ferme du GAEC Mas d'aillès, partenaire du projet LIFE Biodiv'paysanne. Crédits photo : Lucie Pascarel

Pelouses sèches, fourrés et boisement de pins sur le site de la Clé des champs. Crédits photo : Marie Rolland.

Des vaches au GAEC du Mas d'aillès. Crédits photo : Lucie Pascarel

Damier de la Succise. Crédits photo : Baptiste Charlot


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